6ème partie : les Annapurna (29/09 au 08/10)

36 Camp sur la crête (4330) ; 6h10 ; +1750 -120

37 Camp Tilicho (4900) ; 5h45 ; +1400 -750

38 Manang (3500) ; 6h30 ; +500 -1800

39 Gyaru (3600) ; 4h15 ; +550 -450

40 Chame (2700) ; 4h20 ; +300 -1200

41 Tal (1700) ; 5h30 ; +460 -1450

42 Bahudanda (1300) ; 5h15 ; +450 -850

43 Besisahar (750) ; 4h15 ; +250 -800

44 Besisahar ; REPOS

45 Besisahar ; REPOS



Voilà 36 jours que nous marchons (29 septembre) : 


Au Népal, en quelques pas, on change d'univers, comme lors de notre départ de Jomoson pour les Annapurna. Bien sûr, les jours précédents nous avions déjà vu de loin ces grandes cimes blanches culminant à plus de 7000 m, mais là ce fut une autre étape. D'abord, la montée en balcon nous permet d'apercevoir toutes les strates du massif : les forêts de conifères, les pâturages, la pierre, puis enfin les glaciers. Nous n'irons pas jusqu'à la glace, mais passerons tout de même le Mesokanto pass à 5200 m d'altitude. De l'autre côté, c'est un monde minéral et glacière entourant l'un des lacs les plus élevés au monde, le lac Tilicho (4900 m d'altitude selon les autorités, 4750 selon notre montre, peut-être un chouya déréglée par les changements de pressions atmosphériques). Contourner le lac n'est pas une mince affaire et nous devrons par conséquent établir un nouveau camp d'altitude près de cette immensité bleue. 


Voilà 38 jours que nous marchons (1er octobre) : 

 

Depuis le viewpoint surplombant le lac Tilicho, nous sommes subitement transporté dans une autre dimension, celle des "Tourdesannapurnaistes". Comprenez par ce thème barbare la conversion d'une vallée himalayenne au tourisme de masse, venant faire non pas un tour mais plutôt un arc de cercle au nord du massif des Annapurna. Je disais donc un autre monde, avec ses règles, ses représentations propres.

 

Ce qui m'a rapidement mis la puce à l'oreille (ou plutôt ce qui m'a littéralement SAUTÉ aux yeux), c'est que nous avons croisé en moins d'une heure de descente plus de marcheurs que lors de notre premier mois de traversée ! Non, non, je n'exagère absolument pas. 

 

Deuxième puce à l'oreille : une jeune marcheuse (le qualificatif de "jeune" pourrait aussi être considéré comme un indice puisque que nous n'avons croisé précédemment que peu de personnes n'ayant pas été contemporains de la guerre du Vietnam) croisée dans la descente nous adresse avec un large sourire un retentissant "You made it !". Hum... Comment cette parfaite inconnue peut-elle bien connaître notre itinéraire rocambolesque de septembre ou même notre montée éprouvante au lac depuis Jomosom (plus de 3000 m de dénivelé positif et 2 nuits en camp glaciales sur un sentier désert) ? Ne croit-elle quand-même pas que nous faisons parti du flot quasi-ininterompu de touristes qui montent à l'aurore depuis le complexe de lodges au pied de la moraine pour prendre une photo du lac, se congratuler du fameux "You made it !", et redescendre en moins de temps qu'il n'en faut pour s'imprégner de la majesté du panorama ?

 

La troisième puce à l'oreille (et ce n'est pas le manque d'hygiène), et non des moindres, réside dans les nombreux "Aïe !" entendus ça et là. Je compatis à la douleur de ces pauvres "Tourdesannapurnaistes", montés de 800 à 5000 m d'altitude en une semaine chrono sans l'entraînement nécessaire au préalable. Mais un doute m'habite. Ces "Aïe !' ne seraient-ils pas des "Hi !", soit la salutation mondialisée du touriste ? Devrais-je alors y répondre ? Cette gymnastique sociale me paraît bien lointaine. En effet, au Dolpo et au Mustang, les népalais croisés troquaient volontiers les salutations à notre égard avec une indifférence manifeste ou des regards empleints d'interrogations ; entrecoupés tout de même de quelques "namaste" (bonjour) enjoués pour les plus intrépides d'entre eux.

 

Vous l'aurez compris, je manie l'ironie pour traiter de ce "bouleversement" dans notre traversée. Même si cet afflux soudain a été quelque peu destabilisant, nous ne pouvons que comprendre l'envie qu'ont les marcheurs du monde entier à côtoyer les géants de l'Annapurna, tant la beauté et la diversité des paysages n'a nul autre pareil. Cependant, nous pensons aux voyageurs des années 70 et 80 qui découvraient ce joyau avec une ambiance himalayenne plus authentique. Ces "Hi !" et ces "We made it !" nous rappellent trop souvent que les massifs du monde entier sont colonisés par notre culture occidentale urbaine, empreinte de valeurs de performance, de mise en avant de l'individu... Alors que, de mon point de vue, la montagne devrait pouvoir rester un refuge intemporel !



Voilà 39 jours que nous marchons (2 octobre) :


Depuis le lac Tilicho à 4900 m jusqu'à la petite ville de Besisahar à 800 m d'altitude, nous aurons besoin d'une petite semaine pour "descendre" la vallée de la Marsyangdi. Au Népal, descendre ne signifie JAMAIS "petite balade bucolique le long de la rivière" ! Le relief étant pour le moins tourmenté, nous sommes au régime du faux-plat népalais ; comprenez une alternance de jolis "up and down", entrecoupés de quelques belles désescalades. Vues dégagées sur les sommets glacières, villages cernés de champs cultivés, signes religieux bouddhistes abondants, sentiers à flanc de montagne... Le cheminement jusqu'au village de Chame à 2800 m d'altitude se révèle un véritable régal pour le marcheur. 


Après, c'est comment dire... Un tantinet moins la joie ! Le chemin se transforme désormais régulièrement en piste pour permettre d'acheminer en jeep les marcheurs et les marchandises plus rapidement dans la haute vallée. La marche s'accélère par conséquent et nous "découvrons" de nouveaux muscles. Pas de 1300 m de dénivelé positif par jour, mais la fatigue est bien présente en fin de journée. Pendant que je ne pense qu'à arriver au lodge pour boire un thé et manger du popcorn, Juju se délecte de commentaires et de suppositions sur les trekkers que nous croisons par centaine (nous avons le malheur de "faire le circuit" dans le sens opposé). D'où ce groupe est parti ce matin ? Pourquoi prennent-ils un guide et des porteurs alors que c'est balisé ? Comment peut-on avoir un si gros sac en dormant en lodge ? Etc, etc. Sur la piste nous pouvons marcher côte à côte et non pas l'un derrière l'autre, et donc aisément se parler. Vivement le retour des petits sentiers (je plaisante) !


Américains vêtus comme des joggers de Venice beach ; jeunes allemands au style "campeurs retros" ; britanniques peints de crème solaire plus éblouissants que les glaciers ; asiatiques recouverts de la tête aux pieds et laissant à peine dépasser les yeux comme si une épidémie mortelle sévissait ; le spectacle aura été présent autant sur la route qu'aux alentours.