71 Karthali (1640) ; 2h05 ; +740 -0
72 Dolangsa (2400) ; 3h30 ; +850 -90
73 Changu (1700) ; 7h ; +1000 -1700
74 Singati (900) ; 2h45 ; +100 -900
75 Kharka (2480) ; 5h30 (+ 1h45 de plantage) ; +1700 -120
76 Kharka (4080) ; 6h30 ; +1730 -130
77 Kharka (3950) ; 6h (+ 1h de plantage) ; +1000 -1130
78 Kharka (4020) ; 5h45 ; +750 -680
79 Kyama (2340) ; 4h15 (+ 4h de recherche du sentier vers Lachhewar) ; +120 -1800 (+600 -600 recherche Lachhewar)
80 Lachhewar (2750) ; 3h15 ; +700 -290
81 Kharka (4120) ; 4h30 ; +1560 -190
82 Saharsbeni (4000) ; 4h30 ; +620 -740
83 Tragsindo (3070) ; 6h30 (avec aller-retour Dudh Kunda 4550) ; +820 -1750
Voilà 71 jours que nous marchons (3 novembre) :
Tout a commencé pour le moins tranquillement. Ramolis par nos trois jours d'inactivité à Katmandou et peinant à digérer la quantité astronomique de victuailles avalées, nous nous traînons pendant 4 jours sur les sentiers à l'ouest du Rolwaling, de Barabise à Singati. 3 étapes à moins de 3h30, c'est ce qui s'appelle une reprise en douceur. Des villages aux maisons sans charme, des paysages jolis sans plus, beaucoup de chemins transformés en piste... Bref, une portion de la traversée qui ne restera pas dans les annales. Singati, petite ville typique de fond de vallée encaissée, peine à rehausser le niveau. Certes, l'ambiance trépidante du bazar a son charme, mais le désordre architectural de la cité fait un peu tâche dans le décor. Le béton et les couleurs criardes prennent leurs aises, comme partout désormais au Népal lorsque la route passe.
Voilà 75 jours que nous marchons (7 novembre) :
Retrouvant un rythme et une envie digne de notre trek au long cours, l'aventure "Rolwalingienne" peut commencer. En un peu plus d'une semaine, nous comptons relier Tragsindo, village à mi-chemin entre Jiri et Lukla, sur la route touristique menant à la région de l'Everest. L'itinéraire n'est censé traverser que 2 villages, l'un au début, l'autre au milieu ; le reste se déroulant dans le sauvage, de crêtes en sentiers en balcon, en passant par beaucoup de kharkas (espace de pâturage des bêtes en été, désertées en cette saison) ; le tout à une altitude moyenne de 4000 m pour des nuits polaires en tente ! Ayant rajoutés des couches de vêtements chauds, des crampons au cas où, et une semaine de provision, notre sac paraît peser une tonne. Pourtant la montée de plus de 3000 m jusqu'au premier col se déroule quasi parfaitement, excepté une petite approximation d'orientation (à la Gompa de Chanku) qui nous fera perdre une bonne heure et nous obligera à une remontée pleine pente hors sentiers, au sein d'une végétation presque impénétrable. Les vues sur le Gaurishankar, à 7134 m, agrémentent la remontée de la crête, au même titre que les quelques rencontres avec les locaux.
Dans l'ultime village avant le "Wild", nous demanderons à 3 jeunes femmes "tyo gahun ma, kaahaa kane?" (où peut-on manger dans ce village). 6 yeux nous scrutent alors, incrédules, puis l'une d'elles risque un "Do you speak an other language ?". Apparemment elle parle un anglais irréprochable. Apparemment notre accent népalais est loin de l'être. Expatriées à la grande ville, ces étudiantes reviennent chez papa-maman pour les fêtes religieuses. Très gentillement, elles nous proposent de nous aider à cuisiner dans l'arrière-boutique du shop du village.
Le lendemain matin, une petite demi-heure après avoir remballé le camp, c'est à un tout autre Népal que nous avons à faire. Une dame à l'âge indéterminé, à la peau burinée par le soleil, à la tenue traditionnelle sherpa et aux mains 2 fois plus large que les nôtres, nous invite à boire le thé au lait à l'intérieur de sa kharka, l'une des dernières occupées du coin. Dans le fond de cet abri de bois et de toile destiné à la garde et à la traite du troupeau quelques mois dans l'année, 3 petites têtes dépassent de couvertures rêches. Les bambins s'amusent de notre présence, jouant à cache-cache avec l'appareil photo. Bien qu'assis par terre et se cassant les dents sur le churpe (un espèce de fromage dure comme du béton issu du lait de la saison), nous vivons cet instant comme un privilège car sur cette arête offrant des panoramas grandioses sur l'Himalaya, nous représentons peut-être les seuls occidentaux de passage cette année. Loin des autoroutes touristiques, notre traversée nous permet de côtoyer une dimension népalaise oubliée de beaucoup alors qu'elle a longtemps été le socle de la vie himalayenne des peuples tibeto-birmans ; et le reste pour nombre de familles à l'heure actuelle.
Voilà 77 jours que nous marchons (9 novembre) :
La suite de cette Route des kharkas, comme la nomme l'initiateur de cet itinéraire hors des sentiers battus, Pierre Martin (que nous remercions au passage pour ces excellents topos), change ensuite diamétralement d'atmosphère. Au premier jour, pas un nuage. Au deuxième, ils commencent à se former vers 13h. Au troisième, vers 11h. Au quatrième, on patoge dans le brouillard dès 10h ! La nature se révèle tout de suite moins inspirante lorsqu'on a pour seul horizon les fesses de sa partenaire ; même s'il faut avouer que cela fait partie intégrante des charmes de la marche (et oui j'aime marcher dernier du groupe... donc deuxième derrière Juju). Nous tentons donc une entorse au projet initial pour rallier plus directement Lachhewar, petit village Sherpa, et ainsi s'éviter 2 jours de brouillard supplémentaires au-dessus de 4000 m. Sauf que nous n'avons aucune information sur ce sentier censé descendre de 2000 m à travers la forêt, si ce n'est une vague trace sur maps.me et la carte touristique du Rolwaling. Les 2 premières heures, nous patinons sur la glace des chemins en balcon orientés nord, mais tout va bien, nous progressons vers Lachhewar. À 14h, nous sommes à une kharka perchée sur une crête à 4000 m d'altitude. Et là, plus de chemin. On n'y voit pas à plus de 10 m. De tous les coins de ce nid d'aigle, nous tentons de dénicher une trace basculant dans le fond de vallée. En désespoir de cause, nous posons le camp. Des voix lointaines remontent. 3 jours que nous n'avons croisé âme qui vive, nous pensons d'abord à une hallucination. Mais elles reviennent par vague, impossible à localiser dans le brouillard et dans le vent. Espérons que ces népalais soient encore là demain.
Le matin, réveil glacial (-5° dans la tente) et les voix prophétiques se sont envolées. Avant de se lancer dans notre quête, nous restons bouche bée devant le panorama qui nous était caché hier. C'est un condensé de la Route des kharkas : au nord-est une chaine de sommets recouverts de glaciers ; au nord-ouest les montagnes que nous arpentons depuis 4 jours, aux roches foncées recouvertes de mousse, d'epineux rouges et d'herbes jaunies ; au sud le soleil qui se lève sur les innombrables vallées à nos pieds.
La suite se révèle bien moins réjouissante. Je n'entrerais pas dans les détails "traumatisants" de cette matinée dont nous nous rappellerons malheureusement longtemps. Après 4h de recherches infructueuses, plus ou moins 600 m de dénivelés positifs et négatifs dans la forêt, souvent hors sentiers, nous sommes revenus au point de départ. Moment de décision crucial à l'heure où nous dégustons notre excellente soupe de noodles dans le brouillard épais : faire demi-tour ou s'engager sur un autre itinéraire dont nous ne connaissons rien pour redescendre dans la vallée. Nous nous demandons encore comment mais l'option 2 fonctionne, nous emmenant en 4h au pas de course à... Kyama, village sherpa à 2300 m d'altitude, alors que nous pensions plutôt nous diriger vers des lacs à 4000 m. Dans cette épisode se concentre toute la beauté de l'itinerance puisque nous dormons au chaud dans une adorable homestay et nous gavons d'un délicieux dalbhat alors que nous étions préparés mentalement et physiquement à une nuit glaciale sous tente et à un dîner de fortune ! "Beauté de l'itinerance"... mouai, quand ça se termine comme ça c'est beau en effet. La veille, aurions-nous qualifié l'itinerance de la même manière ?
La descente vers le village restera empreinte d'une touche de mystique. Dans cette forêt de nuages couverte de mousse, il serait facile d'imaginer un elfe ou une fée patrouiller entre les arbres. À défaut, c'est un jeune sherpa qui sort de nul part et nous propose... une pomme de terre.
Voilà 80 jours que nous marchons (12 novembre) :
À Lachhewar, ce village tant espéré et dernière étape avant une nouvelle virée dans le wild, nous sommes accueillis dans la maison des chats. 5 félins gris squattent le poêle alors que nous passons l'après-midi à boire du petit lait ; au sens propre puisque la tenancière nous sert et ressert du lait chaud. Après une toilette de chat (une bassine d'eau chaude fera office d'une merveilleuse douche) nous repartons donc pour trois jours isolés. Le soleil jouant à cache-cache dès 10h du matin, nous rusons pour le retrouver au matin sur le col. Cela implique de raccourcir les étapes et donc de passer de longs après-midi dans la tente. La première fut fraîche mais la vue givrée au petit matin au col vallait l'attente. La deuxième fut réchauffée par une bhatti habitée (kharka améliorée pour accueillir pèlerins, voyageurs et locaux) à Saharsbeni. Un feu, du thé et un dalbath sont synonymes pour nous de petits bonheurs, le tout animé par un jeune garçon de 12 ans venu aider son oncle pendant ces vacances.
D'ici part un chemin plein est évitant une boucle au sud, mais l'absence de topo et de traces GPS, ainsi que le souvenir encore frais de notre dernière perdition, nous dissuadent de prendre cette option. Après un détour vers le sublime lac sacré de Duth Kund et sa moraine marquant un passé glaciaire, nous partons plein sud pour croiser la route touristique et historique qui relie Jiri à Lukla (porte d'entrée de la région de l'Everest), achevant ainsi la partie sauvage que fut le Rolwaling.